Deuxième épisode de la saga SafeBrands
Comme nous avions commencé à l’évoquer lors de notre premier épisode, les débuts de SafeBrands furent pour le moins rock’n’roll. Du bon vieux rock qui déménage, au propre comme au figuré… Catégorie amateurs tout d’abord, comme tous les groupes qui débutent. Pas dans le garage familial, (on n’a pas voulu copier Steve Jobs), mais pas loin… Et puis, progressivement, de plus en plus pro, mais sans jamais se prendre trop au sérieux. La clé du succès ? Peut-être… en tout cas, ce sont ces années, que nous allons aujourd’hui retracer dans ce 2ème épisode de notre saga SafeBrands, à l’occasion de notre 25ème anniversaire.
Une entreprise, c’est avant tout une équipe. Nous avons vu précédemment comment Charles et Frédéric se sont rencontrés et ont décidé de se lancer dans cette aventure, un peu fourre-tout et pas très académique au départ. De l’envie et des idées, ils en avaient plein. Mais à deux, on ne fait pas grand-chose.
Très vite, il a fallu recruter, bien que le terme ne soit pas complètement approprié dans le cas présent. Vous avez dit recrutement ? Un matin, alors qu’ils sont encore à Aix, Charles débarque sourire aux lèvres et dit à Frédéric : « J’ai rencontré une personne hier soir. Elle s’appelle Marina et commence la semaine prochaine en alternance ». La perle rare croisée au comptoir ? Pourquoi pas après tout !
A l’image de Marina, d’autres rejoignent progressivement le petit groupe : Sébastien, Michael, Vincent, Tania… Laurent, lui, n’a jamais oublié son entretien d’embauche. Il avait 26 ans. Le trac forcément. Reçu dans des bureaux qui ressemblent davantage à une maison de vacances. La mer n’est pas loin, les cigales non plus. Fred l’accueille avec sa tresse et son look « décalé », pas tout à fait l’idée que l’on se fait d’un chef d’entreprise, même d’une PME. Passé l’effet de surprise, Laurent apprendra vite à faire la différence entre l’image et le professionnalisme. Notamment quand, quelques semaines plus tard, les salaires continueront à tomber, tandis que Fred se démène, chaque jour, avec ses décalages de trésorerie. Laurent reconnait avoir accepté une proposition en dessous de son salaire de l’époque, car il devine un environnement techniquement et humainement passionnant.
Un recrutement borderline totalement assumé. Le seul critère qui comptait pour les embauches, ce n’étaient pas les diplômes, pas même l’expérience, juste le feeling : va-t-on avoir envie de travailler avec cette fille/ce gars ? Les postulants devaient être sympas, aimer bosser dans la bonne humeur et avoir le sens de l’humour et du client. On était loin des questionnaires d’embauche, ultra tortueux validés par toute une batterie de professionnels. Frédéric était plutôt du genre à demander : « Quelle serait votre réaction, si votre supérieur montait sur la table et se mettait à faire la vache ? ». Déroutant, certainement, efficace… parfois peut-être. En gros, si on avait une bonne tête et envie de rendre les clients heureux, on avait toutes ses chances d’être validé. Une chaise, un téléphone, et c’était parti. La magie d’un secteur tout neuf.
Un environnement dans lequel il fallait être un couteau-suisse. Tout le monde faisait un peu tout dans la boutique, avec le sourire, et le sentiment de participer à quelque chose de nouveau, à une « révolution ». Stimulant, galvanisant.
Pour les prochaines vagues de recrutements, c’est l’ANPE qui, cette fois, leur propose des candidats. Leur interlocutrice comprend parfaitement leurs attentes et leur suggère des profils « différents ». Comme celui d’un administrateur système, qui avait eu un grave accident et qui ne travaillait plus depuis un an. D’autres n’auraient peut-être pas retenu son CV. SafeBrands, si.
Petit à petit, Frédéric et Charles s’entourent donc d’une équipe qui leur ressemble. C’est aussi le privilège d’un secteur en pleine explosion.
Côté business, chaque nouveau client est une victoire. Pas question de faire les difficiles. Le spectre est extrêmement large. SafeBrands travaille notamment avec une agence spécialisée dans le vin. D’abord un premier vignoble, puis un autre et encore un autre. Le bouche à oreille fonctionne bien. Côtes du Rhône, Bourgogne, Bordeaux, pas de jaloux, on prend tout !
Tout, même les propositions les plus inattendues. Un jour, Vincent, le directeur commercial, arrive un peu circonspect. Il a dégoté un client qui s’appelle… Papy salaud (une sorte d’ancêtre de « Jacky et Michel »). Pour remettre dans le contexte, on est alors au tout début du développement des sites pornos amateurs, à la recherche d’hébergeurs. SafeBrands sera d’ailleurs à cette époque beaucoup sollicitée sur ce créneau spécifique en expansion. Et finira par se retirer de ce marché.
A ce propos, Charles n’a jamais oublié le jour où il rencontre l’un de ces clients potentiels, dans un troquet marseillais où l’équipe de SafeBrands avait l’habitude de déjeuner. L’homme arrive avec sa femme qui était aussi son « actrice ». D’une voix très forte, il commence à raconter des anecdotes très crues. Charles est terriblement gêné. La conversation dérive vers un autre projet et Charles réalise que toutes les tables autour se sont tues. Il ne sait plus où se mettre.
SafeBrands abandonnera très vite l’idée du créneau des sites pour adultes. L’entreprise n’était pas équipée pour un tel flux vidéo, et n’avait peut-être pas le cœur assez accroché.
Les clients viennent et repartent parfois aussi vite. Beaucoup sont attirés par les sirènes de concurrents low-cost, qui, en plus de pratiquer des tarifs plus avantageux, ont davantage de moyens techniques. SafeBrands est clairement plus cher. Mais impossible de baisser les prix. Il faut passer en mode débrouille, tout essayer, et surtout, garder la foi. Les deux dirigeants se donnent un mal fou pour « évangéliser ». Il faut d’abord convaincre leurs interlocuteurs de l’utilité de se doter d’un nom de domaine. Créer le besoin. Sensibiliser. Pas évident. Rares sont ceux qui en ont entendu parler. Ils organisent des salons et créent même un blog « MailClub.info », épaulés par un ancien journaliste de « la Marseillaise », qui, bien que spécialiste du sport, sent qu’il y a là un créneau à saisir. Blog qui permet de répondre aux questions, nombreuses, qui reviennent de façon récurrente.
L’évangélisation c’est bien, mais ça demande une énergie folle. Vient alors, en parallèle, l’appel à des revendeurs. Charles et Frédéric démarchent des cabinets d’avocats, qui y trouvent leur avantage. La stratégie : en faire des prescripteurs, des intermédiaires. Cela leur permettait d’apporter un service à leurs clients, en proposant la solution SafeBrands. Clients qui, du même coup, étaient rassurés car ils avaient la validation de leurs juristes.
Outre les avocats, c’est à se demander si la « Bonne Mère » parfois ne leur a pas donné un coup de pouce. Un gros client de la première heure s’est confié des années plus tard, sur sa décision de choisir SafeBrands. Pas spécialement pour vos services, mais pour votre localisation, a-t-il reconnu. Caler un rendez-vous à Marseille le vendredi, c’était la garantie d’un week-end réussi ! Ceci dit, il est resté chez SafeBrands, même lorsque le bureau parisien a ouvert.
Aujourd’hui, Charles en est persuadé, si les entreprises françaises sont davantage protégées que dans d’autres pays, c’est en partie grâce à SafeBrands. Leur société a su être présente au bon moment, au bon endroit : « C’était la ruée vers l’or et nous étions des vendeurs de pioches ». Il se souvient que DailyMotion.com par exemple, a, pour la première fois, été enregistré chez SafeBrands, qui s’appelait à l’époque encore MailClub. Deezer a également fait appel à eux, tout comme Doctissimo, « aufeminin.com » et une marque de chaussures éthiques célèbre, qui n’avait pas encore la notoriété qu’elle a aujourd’hui. Beaucoup n’imaginaient même pas devenir un jour des mastodontes d’Internet. La mission de SafeBrands, c’était de les en convaincre, et par là même, de les persuader de l’utilité de protéger cette notoriété future. Sacré boulot. Il fallait mouiller la chemise, en permanence.
Quand on leur demande un exemple d’étape clé de développement du MailClub (pour eux c’était LE MailClub, avec un C majuscule, et on ne disait donc pas le développement de MailClub, mais DU MailClub, ils y tiennent !), Fred et Charles répondent en cœur : le jour où nous avons eu des tickets restaurants. C’est ce jour-là que nous sommes devenus une « vraie » boite. Sentiment d’être dans la cour des grands. Pour eux, ça voulait dire beaucoup. Un peu pieds nickelés pourtant sur ce coup-là : dans leur précipitation, ils décrètent une prise en charge par l’entreprise à 100% ! Un joli avantage, issu d’une mauvaise case cochée. Et une fois acté, allez revenir sur un acquis social…
Grandir, c’est aussi, malheureusement, parfois, devoir gérer les problèmes RH. De l’avis même des chefs d’entreprise, ce sont ceux qui vous minent le plus, car ils tiennent à l’humain.
Se séparer de quelqu’un est toujours douloureux et le mode de recrutement à l’époque davantage « pote » que très professionnel, rendait la chose encore plus complexe. On n’aime pas ça. C’est arrivé peu de fois, heureusement. Bien sûr, il y a eu du turn over, comme partout, mais la famille ne s’est jamais perdue de vue. Chez SafeBrands, on reste en contact et en bons termes avec les « ex », et on recherche davantage le compromis que le conflit. Inutile de se polluer avec du négatif. On prône la positive attitude.
Désagréables aussi : les problèmes techniques : ruptures de bandes passantes, ou d’électricité dans les Datacenter. Inévitables. A plusieurs reprises, il a fallu sonner le tocsin. Alerte : client paniqué, avarie détectée, tout le monde sur le pont. C’est ça la force de SafeBrands. Ça l’a toujours été, et ça l’est encore : surtout ne jamais laisser le client sans explications. Lui parler, le tenir au courant, accepter de se faire engueuler, et, dans le même temps, travailler sans relâche, jour et nuit, jusqu’à ce que tout soit opérationnel. Ne rien lâcher, jamais, car dans leur activité une rupture de service, cela signifie que le site et les boites mails du client sont dans le noir, avec des conséquences qui peuvent être très impactantes pour leur activité.
Tout donner, puis aller boire un coup, tous ensemble. Se dire qu’on y est arrivé. On a beau être rock’n’roll, on se doit d’être sérieux. Il est impensable que le client ne soit pas satisfait. Charles et Frédéric ont tous les deux cette conviction, qui ne les quittera jamais : l’attention au client doit être la priorité numéro un.
Leur mot d’ordre : s’amuser certes, mais faire les choses proprement avec des valeurs et du professionnalisme. Pas d’appels manqués. Là-dessus, aucune tolérance : le client doit obtenir ce qu’il veut, tout de suite. Même quand, sur le papier, c’est impossible. Les MacGiver d’Internet remuent ciel et terre, et trouvent une solution. On ne doit jamais laisser un client aller voir ailleurs si c’est mieux.
Un jour par exemple, l’un d’entre eux, une plateforme d’annonces immobilières, s’apprête à lancer son nouveau site et à en faire la promo. Tout était prêt. Enfin presque tout. Le nom de domaine avait bien été déposé, mais, dans sa précipitation, le client avait oublié un tiret. Or, 4 jours plus tard, débutait une grande campagne de 4 par 3, dans toute la région PACA, sans le fameux tiret, donc avec un nom de domaine erroné. C’était une catastrophe. C’est SafeBrands qui va le sauver. Appelé à la rescousse en urgence. Le délai est extrêmement court. Infaisable. Pas pour Frédéric qui file négocier et sauve in-extremis la situation.
Être attentif à ses clients, mais aussi à ses équipes. Les pots, les pique-nique sur la plage. C’était ça aussi SafeBrands. Boire une bière pour fêter un contrat. Se retrouver le midi au parc Borély ou à la Pointe Rouge sur un banc pour manger une pizza face à la mer. Et un jour, décider qu’on peut la manger au restaurant cette pizza. Le début de l’embourgeoisement ? Pas vraiment. Chez SafeBrands, les locaux sont accueillants, mais là encore pas très académiques. La salle de réunion, par exemple, qui sert aussi pour la pause-café, dispose d’une table Ikea en mauvais aggloméré, achetée d’occasion, et qui a eu plusieurs vies. Pour se rendre dans les uniques WC, il faut la traverser. Cela a posé quelques problèmes de collision avec les réunions clients. On vous laisse imaginer la scène : « Tu peux sortir des toilettes s’il te plait, vite ! un client arrive ! ». Il y a d’ailleurs eu quelques cafouillages, des moments où on était obligé de crier : « Trop tard, tu ne peux plus sortir, le client est là ! ».
A l’extérieur : un balcon filant, mythique lui aussi. On l’empruntait pour aller d’un bureau à l’autre. Certains en trottinette ! Des petits malins s’étaient même bricolés des tremplins avec des classeurs. Amusant, mais risqué. Un volet qui s’ouvre, et ça aurait pu virer au drame. La trottinette est repartie au garage. Les cigales, elles, sont restées.
Avec les commandes qui commencent à affluer, SafeBrands doit mettre en place une vraie organisation. Finis les couteaux-suisses, il faut des commerciaux, des responsables, des techniciens plus spécialisés. L’entreprise grandit.
En 2005 : premier couac. Les caisses sont vides. Il n’y a malheureusement pas d’autre alternative que de réduire l’équipe et de se séparer d’une personne. Pourtant le carnet de commandes se remplit, mais les délais de paiement des grands comptes qui rejoignent les rangs des clients mettent la trésorerie dans le rouge. Si SafeBrands doit régler en prépaiement ses registres et ses noms de domaine, les clients, eux mettent 4 ou 5 mois à honorer leurs factures. Factures qui, de surcroit sont souvent gérées manuellement.
Néanmoins cette période reste un moment constructeur et instructif. Charles et Frédéric prennent conscience que désormais SafeBrands est une structure qui tourne, avec une équipe solide. Le « On verra bien » des débuts se se transforme en « Grandissons encore ! ».
Pour sortir de l’ornière, la solution aurait été de lever des fonds. Mais Charles n’a pas envie d’être « emmerdé » par un investisseur, le mot d’ordre de cette aventure étant la liberté. Ce n’était pas leur truc d’ailleurs d’aller quémander. Ils préféraient jongler avec les lignes de découverts sur différents comptes. Ça va… un temps.
Il y avait bien eu quelques subventions ou aides, mais insuffisantes pour remplir les caisses. 5.000 euros par ci, 3.000 par là. Là encore, il aurait sans doute fallu démarcher, mais « faire la manche », comme ils disent, ce n’était pas leur truc. Un prêt à taux zéro sur 5 ans, dégoté par un intermédiaire financier les a néanmoins bien dépannés, mais avoir des dettes était pour eux source d’angoisse plus que de potentiel de développement.
Quand s’arrêtent vraiment ces années rock’n’roll ? Quand Frédéric troque ses tee-shirts déchirés contre des polos ? Quand il arrête ses expériences capillaires ? Ou bien en 2006, quand SafeBrands migre vers le Pôle Média de la Belle de Mai et ses locaux modernes et vitrés ?
Rendez-vous début juillet pour le troisième épisode de notre saga, consacré à l’âge de raison : la croissance, la conquête des grands comptes, la structuration, le développement à l’international…