Souvenez-vous, il y a dix ans, se tenait un Sommet Mondial de la Société de l’Information à Genève. Organisé par l’UIT (Union International des Télécoms) sous l’égide de l’ONU. Avatars de ces sommets sans solution, le Forum de la Gouvernance de l’Internet (FGI ou IGF en anglais) se réunit chaque année pour partager les évolutions du secteur. Grand messe où se retrouvent les acteurs de la Gouvernance ces réunions sont toujours sous responsabilité de l’ONU, chaque membre présent ayant les prérogatives d’ambassadeur. Depuis 2006, chaque automne voir donc venir le temps de l’IGF dans des lieux divers et très variés : Athènes, Rio, Hyderabad, Sharm el-Sheikh, Vilnius, Nairobi, Baku…
En 2013 le FGI s’est tenu le mois dernier (19 au 25 octobre) sous des cieux cléments et plutôt agréables : à Bali, ou plutôt à Nusa Dua. Une enclave située au Sud de la capitale, Denpasar, où sont regroupés tous les hôtels de (grand) luxe de l’île. Depuis le traumatisme des attentats terroristes de 2005 et 2007 cette enclave est sécurisée avec portiques de sécurité, contrôles routier, fouilles des véhicules… mais à la balinaise, avec douceur et sourire.
LE LIEU
Pour ce qui est du contexte, après tous les problèmes rencontrés par l’UNOG (ONU à Genève) pour l’organisation de ce 8e FGI, nous avons été plutôt agréablement surpris du bon déroulement de cette semaine de réunions. En effet, fin juin les autorités indonésiennes ont tenté de faire pression sur les organisateurs pour transformer cette réunion en foire commerciale. Faire chanter l’ONU, fallait oser… Les « différends » ont été promptement résolus et des avantages bien concrets ont fait oublier près d’un mois de retard dans la préparation.
En premier, le plus important, les congressistes ont été nourris gratuitement tout au long de la semaine. Les critiques de l’an passé à Bakou sur le manque de nourriture et de café ont été entendues, les besoins anticipés. Autre surprise, le gouvernement indonésien a remboursé les frais de visa à chacun des participants. Parfois le chantage coûte cher…
Ensuite, le lieu : un immense centre de conférences, neuf, où les 2000 participants avaient de la place, beaucoup de place. Des salles immenses, la plus petite pièce contenait 150 personnes, la majorité plus de 500, en sus de la Main Room. Des conditions matérielles, favorables donc à des débats sereins et profonds.
LA THEMATIQUE
Chaque FGI a un thème, décidé lors des réunions de début d’année avec un calendrier publié et public (www.intgovforum.org). Celui de 2013 a été choisi in fine par le MAG (Multistakeholder Advisory Group), organe de conseil du Secrétaire Général de l’Internet Governance Forum, poste vacant, personne n’ayant été nommé depuis le départ de Nitin Desai en 2011. C’est Markus Kummer, actuellement à l’ISOC, qui a été nommé président et conseiller par interim (de qui??) des réunions du MAG et des consultations ouvertes. Sans budget très défini et sans staff pérenne, ces réunions réussissent l’exploit de déplacer année après année le gratin de l’internet mondial.
En 2013 le thème était ‘Building Bridges – Enhancing Multi-Stakeholder Cooperation for Growth and Sustainable Development.’
Mais, l’effet Snowden étant passé par là, on a parlé de tout sauf de ce thème.
Début octobre il y eut le discours de la présidente Brésilienne, Dilma Rousseff, lors de l’ouverture de la session de l’ONU. Furieuse suites aux révélations d’espionnage de la NSA elle a attaqué de front et dénoncé une hégémonie étasunienne devenue insupportable pour son pays et, le même jour, est sorti le «Montevideo Statement » (cf http://www.w3.org/2013/10/montevideo.html.en) prônant une réflexion sur le futur de l’internet … un tout qui a enflammé le milieu de la Gouvernance.
Dès la semaine suivante, le président de l’ICANN, Fadi Chéhadé, s’est précipité pour une rencontre informelle avec Dilma Rousseff afin de discuter de ce qu’il semblait ignorer : internet est un gruyère, la NSA une petite souris qui se faufile partout.
Puis, le 9 octobre, annonce d’un « World Summit » organisé par le Brésil, qui se tiendrait au prochain printemps, et serait chargé de remettre sur les rails la gouvernance de l’internet.
Sur une des listes utilisées pour les discussions lors de l’IGF – BestBits.net – on retrouve plus de 300 échanges sur ce qu’il convient de faire pour que la société civile soit partie prenante dans cette réunion. Sur ce sujet nous avons eu droit à un grand spectacle de Chéhadé, organisé dans une des plus petites salles du centre de conférence de Bali alors que d’autres de tailles respectables restaient vides. Il s’agissait pour l’ICANN d’apparaître comme co-organisateur de ce futur événement qui pourrait bien devenir un sommet parallèle des BRICS. Vrai ou faux ?
Annoncé le 11 novembre, le titre est «Global Multistakeholder Meeting on Internet
Governance», donc un Meeting et non un Sommet mais Global donc ouvert. Depuis le 25 novembre on sait que cela se passera à Sao Paulo les 23 et 24 avril 2014. Un Comité d’Organisation se met en place, l’ICANN s’y est aménagée une place, et c’est la foire d’empoigne dans les listes gouvernance, notamment dans la principale – governance@lists.igcaucus.org – pour se faire nominer dans ce comité, pourtant sans aucun avantage matériel. Mais le prestige…
LES WORKSHOPS
Il y a aussi les séances plénières – thématiques, d’ouverture, de conclusion – et ce sont les seuls moments où les participants peuvent s’exprimer dans leur langue (en fait une des 6 langues de l’ONU, peu au regard des milliers de langues vivantes existantes). Pas de traduction simultanée dans les workshops, on se débrouille autour d’un anglais de niveau hétéroclite ou on se tait.
Le format des workshops est imposé par le FGI : 90mn, utilisation de Webex pour l’accès à distance (Remote Access), publication du programme sur le site du FGI (cf http://www.intgovforum.org/cms/workshops2013) dans un formulaire rigide et ensuite, compte-rendu dans un format également très contraint.
Malgré toutes ces règles il n’y en a pas un qui ressemble à un autre. La difficulté étant de choisir quoi aller écouter car, à défaut d’un programme élaboré sérieusement, c’est le lobbying qui fait que vous avez ou non droit à un workshop (et donc votre nom dans la liste des orateurs). Et ensuite, selon votre poids et vos moyens financiers, la publicité nécessaire pour que les participants choisissent votre workshop. Et le choix, ça ne manquait pas !
Ce qui donne :
MATIN APRES-MIDI
-* Jour 1 21 workshops Cérémonie d’ouverture
-* Jour 2 27 workshops 21 workshops
-* Jour 3 22 workshops 22 workshops
-* Jour 4 19 workshops Cérémonie de clôture
Et, en sus des workshops, la salle plénière accueillait des sessions matin et après-midi.
Bien sûr, de nombreuses réunions impromptues naissent, au gré des besoins et des groupes qui souvent ne se voient qu’à l’occasion du FGI. Les réseaux sociaux seraient un bon moyen de rester informé mais ils restent bizarrement sous-utilisés. Le plus efficace reste encore le téléphone arabe.
SUJETS NOUVEAUX, LES CLOSED GENERIC
Un mot sur un des rares workshops auquel j’ai pu assister, le n°253 qui s’est tenu le 3e jour de 11h à 12h30. La thématique sur les « Closed Generic TLDs » était alléchante. Quesaco ? Eh bien l’ICANN, dans un moment d’égarement, a autorisé les futurs détenteurs d’extension à se les garder bien au chaud et à capter des mots usuels (enfin, surtout pour les anglophones). Ce n’était pas prévu au début des opérations lors de la publication du Registry Agreement. Les déposants ont été surpris de cette nouvelle règle et ceux qui avaient décidé de ne pas déposer de noms sont furieux.
Petit exemple :
– antivirus
– baby
– book
– game
– hotel
En tout il y en a 186 dont 174 sont « closed » de fait par manque de concurrence (pas d’autres dépôts).
Les intervenants étaient tous très sceptiques sur cette nouvelle règle sortie d’on ne sait où, normal. Sauf que les personnes composant le panel étaient toutes des proches des sphères de l’ICANN, voire faisant partie du staff…
Le représentant du gouvernement suisse, Thomas Schneider, a expliqué que la loi de son pays interdit d’acheter un terme générique. Mieux, toutes les Marques Suisse ont obligation d’avoir le terme «swiss» dans leur nom (label de qualité).
L’extension .SWISS qui avait été demandée par 3 entités sera donc gérée par le gouvernement central.
La représentante de l’Argentine, Olga Cavalli, s’est expliquée sur l’objection de son pays, allié avec le Chili, pour faire échec à l’extension AMAZON. Ce terme fait partie des « Geo Name » protégé par un accord du GAC datant de 2007, et la société Amazon ayant déposé cette extension a «oublié» de prévenir les gouvernements concernés, cela a fâché.
Une intervention remarquée, celle de Kathy Kleinman, ex-responsable de la politique interne de l’ICANN, qui fait le parallèle entre ces règles édictées on ne sait comment et une nouvelle forme de colonialisme : le 1er qui plante son drapeau a le pouvoir. Et avec moins de 1% d’africains et des règles qui changent après la signature d’un contrat. Cela fausse la compétition (ce n’est pas nouveau mais le panel le découvre à cette occasion).
Bref, la seule à défendre – mollement – cette règle, ce fut Avri Doria, fidèle à l’ICANN jusqu’à l’absurde. Même le modérateur William Drake fut… très modéré.
COMMENT SE PASSE UN WORKSHOP
Les membres d’EUROLINC ont assuré une participation dans 2 workshops et peuvent témoigner de la disparité des situations.
Workshop n°302 d’EUROLINC,
Four pillars of Multilingualism (cf http://www.intgovforum.org/cms/workshops2013/reports-with-transcripts)
Pas de maitrise de l’emploi du temps pour les organisateurs qui se sont vu attribuer le matin du Jour 1 alors que le décalage horaire avec l’Europe et l’Afrique était de moins 7h.
Ce workshop impliquait des échanges avec des équipes en Belgique et au Congo, dans un milieu scolaire : 3h du matin chez eux, 10h à Bali.
La réunion s’est tenue dans une salle avec une disposition en carré, immense, mais très en dehors des zones de circulation. Première difficulté, le staff local géraient micros et écrans… mais ne savait pas comment faire. Ensuite, deux interventions sur quatre devaient se faire par accès internet donc il était nécessaire d’être connecté sur l’interface Webex du FGI. Mais, il faut qu’une personne de l’UNOG (Secrétariat ONU) «ouvre» la session, c’est la règle. Etant les derniers dans la lignée des salles, on a attendu plus de 20 minutes l’arrivée de la représentante de l’UNOG et à notre grande surprise elle a pris d’office le poste de modérateur, ce qui n’était pas prévu (elle ne connaissait pas les interventions à venir). On ne discute pas un règlement ONU !
Résultat, un son inaudible dans la salle et les présentations et vidéo n’ont pas été intégrées au Webex. La session avec MAAYA et les africains qui devaient faire une démonstration d’un développement multilingue n’a pu avoir lieu pour cause de coupure d’électricité (3h du matin à Libreville) comme souvent en Afrique durant la nuit, et, à cette heure, pas question d’aller investir l’université du coin.
Coalition Dynamique sur la Neutralité du Net
Jour 4 – matin
Cette réunion a été organisée très tardivement (début septembre) car les Coalitions Dynamiques sont le résultat de pas mal de concertations et doivent présenter des opinions différentes sur un thème transversal. L’important est dans la préparation car les participants viennent se faire une opinion sur la thématique alors que les workshops est la présentation de résultats de recherche ou d’expérimentation. Organiser une DC (Dynamic Coalition) est un exercice périlleux et qui demande une bonne coordination entre des auteurs souvent en conflits entre eux.
Ce fut une gestion de panel remarquable, qui bien que programmé le dernier jour de 9h à 10h45 a eu un vif succès. L’organisateur, Luca Belli, a réussi dans un laps de temps très court le tour de force de présenter des points de vue très différents et en plus avec des textes remarquables qui furent distribués durant la réunion. Chapeau !
Le texte de Louis Pouzin (en français) : http://www.open-root.eu/decouvrir-open-root/actualites/neutralite-du-net-et-la-qualite-de-service
Le livre en Open Access contenant l’ensemble des interventions (en anglais) : http://www.eurolinc.eu/ecrire/?exec=articles&id_article=94
LE FGI, C’EST AUSSI LES EXPOSITIONS
Le cas d’Open-Root
Une des particularités des sessions du FGI c’est que les stands d’exposition sont… gratuits. Oui, incroyable, non ? Attribués sur demande par l’UNOG à l’issue de la présentation du pays hôte qui se tient en général lors d’une réunion au mois de mai à Genève. Comme le nombre des stands n’est pas extensible, c’est la règle des 1er arrivés, 1er servis qui est appliquée.
Cette année, très mauvais emplacement pour Open-Root qui avait été le 2ème a demander son stand, on a eu le stand n°2, situé tout au fond à gauche avec en voisins immédiats, la police locale, les toilettes et une enfilade de salles vides.
Malgré ces conditions peu favorables, un bilan assez positif et des rencontres que l’on ne peut faire que dans cette réunion qui reste un moment exceptionnel.
En 2014 le FGI se tiendra en Turquie, à Ankara, du 2 au 5 septembre,
La participation est gratuite et ouverte à tous, on y rencontre tous les acteurs de l’internet et toutes les opinions peuvent s’y s’exprimer.