De nos jours, on remarque, de la part de la loi et de la jurisprudence une multiplication importante des obligations d’information dans les domaines les plus divers.
L’obligation d’information a été conçue peu à peu par la jurisprudence sur le fondement des articles 1134 et 1135 du Code civil qui imposent la bonne foi et l’équité dans les relations contractuelles. Il apparaît que plus la matière sur laquelle portera le contrat sera complexe et technique, plus l’obligation d’information du vendeur sera renforcée.
Si l’on prend l’exemple des contrats informatiques, le dispositif se décline de la manière suivante :
Une obligation précontractuelle d’information
Tout d’abord, le vendeur, ou prestataire informatique, est soumis à une obligation précontractuelle d’information. Autrement dit, avant tout accord contractuel, le vendeur professionnel se doit de communiquer à l’acheteur profane, c’est-à-dire n’ayant pas de connaissances ou ne possédant que très peu de connaissances dans le domaine informatique, tous les renseignements nécessaires concernant le produit ou le service proposé.
Une obligation contractuelle d’information
La conclusion du contrat intervenue, le vendeur se verra assujetti à une obligation contractuelle d’information, qui survivra pendant toute la durée du contrat. Cette obligation s’analyse en une véritable obligation de renseignement. En effet, le prestataire est tenu de fournir au client les renseignements nécessaires et indispensables au bon fonctionnement des services qu’il propose et fournit.
Une obligation de mise en garde
De plus, par son obligation de mise en garde, le prestataire devra attirer l’attention de son client sur les risques et difficultés que peuvent engendrer les opérations d’informatisation et la mise en place d’une solution informatique.
Une obligation de conseil
Enfin, l’obligation de conseil impose au prestataire de se renseigner en amont sur les besoins de son client, de l’aider à les définir et de lui proposer des produits et services en adéquation avec ceux-ci. En effet, dans un arrêt rendu le 28 octobre 2010 (n°09-16.913), la 1ère chambre civile a estimé que le vendeur professionnel devait « se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qu’en est prévue ». Enfin, ce devoir de conseil peut être assimilé à un devoir de déconseil si le prestataire estime que le produit ou le service n’est pas adapté.
La nature du devoir d’information et de conseil
Comme on l’a vu, le prestataire informatique est assujetti à une obligation particulièrement contraignante. Toutefois, cette obligation n’est pas absolue, il ne s’agit que d’une obligation de moyens et non pas de résultat. Pour se décharger de sa responsabilité, il devra prouver qu’il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires pour assurer la bonne information de son client.
Le professionnel ne peut en effet pas être soumis à une obligation de résultat dans la mesure où son client se doit d’être vigilent, particulièrement attentif lors de la délivrance de l’information et curieux (selon l’adage « emptor debet esse curiosus »). Ainsi, même s’il apparaît que l’acheteur est de plus en plus assisté dans ses démarches, et que l’adage selon lequel l’acheteur doit être curieux tend à tomber en désuétude en matière informatique, il doit continuer à effectuer un examen normalement attentif de la chose ou du produit. Enfin, le client est soumis à une obligation de collaboration qui l’oblige à aider le vendeur dans la définition de ses besoins.
Ainsi, en pratique et en cas de litige, la charge de la preuve incombe aux deux parties : d’une part, le prestataire devra prouver qu’il a rempli son obligation de moyens et, d’autre part, l’acheteur devra prouver qu’il n’a pas reçu les informations adéquates et nécessaires.
Dans l’hypothèse où le prestataire aurait manqué à son obligation d’information et de conseil, le client peut réclamer la résolution du contrat, voire le versement de dommages et intérêts s’il a subi un préjudice et ce par l’intermédiaire des vices du consentement. En effet, il pourra invoquer, conformément à l’article 1116 du Code civil, une réticence dolosive (fait de cacher à son cocontractant un fait ou une circonstance qui aurait conduit celui-ci à ne pas s’engager s’il en avait connu l’existence) ou un dol (manœuvres trompeuses ayant entraîné le consentement forcé de l’une des parties au contrat) ayant entraîné son erreur excusable. Notons que l’erreur est toujours excusable si elle a été commise par dol ou réticence dolosive.
Par conséquent, nous avons, d’un côté, un vendeur professionnel qui doit assister le client dans ses démarches en lui fournissant toutes les informations et conseils nécessaires et adéquats. De l’autre côté, nous avons un acheteur qui se doit d’être curieux, vigilent et coopératif. En effet, si le prestataire doit définir en amont les besoins de son client, c’est bien évident avec l’aide et le soutien de ce dernier.
Il est donc fortement conseillé, à chacune des parties, d’établir, avant toute conclusion de contrat informatique, un cahier des charges. Celui-ci doit viser à définir de façon précise les besoins du client, les solutions proposées par le prestataire, ainsi que les obligations respectives de chacune des parties.
Sur ce point, le Tribunal de commerce de Paris a jugé, le 23 mars 2000, que le devoir d’établir un cahier des charges incombe au client. Mais il a précisé que le prestataire doit également immédiatement attirer l’attention de son client sur les éventuelles carences du cahier des charges. Cette décision penche en faveur d’une véritable collaboration entre les parties, prônant ainsi la loyauté et la fraternité dans les relations contractuelles.
Néanmoins, si en théorie la rédaction d’un cahier des charges incombe au client, en pratique, c’est le prestataire informatique qui sera sanctionné faute de rédaction. Cette sanction se fera sur le fondement de l’obligation d’information et, en conséquence, des articles 1134 et 1135 du Code civil.
C’est ce qu’a estimé la Cour d’appel de Rennes le 15 janvier 2013 en sanctionnant la Société AERIAL CONSEIL pour ne pas avoir élaboré de cahier des charges eu égard à la complexité et à la technicité des prestations qu’elle offrait.
Les faits
En l’espèce, le 4 novembre 2008, Richard X, artiste-peintre, représentant de la Société ERVAL DECO, a fait appel à la Société KEMENN pour la création et la gestion d’un site Internet professionnel, pour une durée de 48 mois, présenté sous le nom de domaine erval-deco.com.
Le 7 février 2010, la Société AERIAL CONSEIL est allée démarcher à domicile Richard X et lui a fait signer, pour une durée de 48 mois également, un nouveau contrat de licence d’exploitation de site Internet.
Selon Richard X, la Société AERIAL CONSEIL s’était engagée à améliorer le site existant mis en place par la Société KEMENN.
Sur ce point, Richard X verse aux débats un bon de livraison manuscrit d’AERIAL mentionnant le nom de domaine « erval-deco.com », suivi de l’indication « transfert », un email postérieur avisant Richard X de la publication et de la mise en ligne de son site Internet www.erval-deco.com, et une lettre du 26 avril 2010 l’informant de l’impossibilité pour AERIAL CONSEIL d’inscrire la campagne publicitaire Google en raison de l’absence de transfert du nom de domaine erval-deco.com.
Pour le Tribunal, « ces éléments prévalent sur les clauses types pré-rédigées contenues dans les documents contractuels laconiques et obscures » de la Société AERIAL CONSEIL.
Or, la Société AERIAL CONSEIL n’a pas amélioré le site Internet existant. A la place, elle a créé un second site Internet. Selon un constat d’huissier, ce second site, toujours à l’état d’ébauche et plagiant le premier, a été mis en ligne à l’adresse www.erval-deco44.com.
Dans cet arrêt, les juges se chargent de redéfinir les obligations du prestataire informatique
Pour la Cour, la Société AERIAL CONSEIL avait l’obligation, eu égard à la complexité et à la technicité des prestations qu’elle offrait, d’élaborer un cahier des charges personnalisé et approuvé par son cocontractant après s’être informée de ses besoins.
En effet, en tant qu’artiste-peintre, celui-ci se trouve être un professionnel non averti. Il n’avait donc pas les moyens de comprendre la portée exacte des documents qu’il signait. De plus, ces éléments étaient en contradiction avec l’accord des parties, tel qu’il est démontré par le constat d’huissier.
La Société AERIAL CONSEIL devait également s’assurer que les prestations convenues étaient réalisables compte tenu des conventions liant la Société ERVAL-DECO à la Société KEMENN. Elle devait ainsi informer loyalement son cocontractant de la nature et de l’étendue des prestations qu’elle pouvait lui fournir compte tenu de ces relations préexistantes.
Pour se défendre, la Société AERIAL soutient qu’elle n’avait pas le pouvoir d’opérer le transfert du nom de domaine erval-deco.com. La Cour rejette cet argument au motif qu’elle aurait dû informer son cocontractant de cette impossibilité avant de signer le contrat.
Enfin, pour les juges, la prestation fournie ne présentait pas d’utilité pour l’intimée. De ce fait, la Société AERIAL CONSEIL a manqué à son devoir d’information et de conseil.
C’est donc à juste titre que le Tribunal de commerce a prononcé, aux torts de la Société AERIAL, la résolution du contrat de licence d’exploitation de site Internet conclu le 07 février 2010 et qu’il l’a condamnée à restituer les sommes perçues en exécution de ce contrat.
Que les registrars se rassurent, cet arrêt ne tranche pas en faveur d’une éventuelle responsabilité de leur part. En effet, la décision concerne principalement l’élaboration d’un site Internet, le transfert du nom de domaine n’étant qu’un élément accessoire de ce projet.
Si l’obligation d’information et de conseil est imposée aux prestataires informatiques, les registrars y échappent puisqu’ils ne sont pas contraints, de par la loi et la jurisprudence, d’effectuer des recherches d’antériorité avant l’enregistrement d’un nom de domaine.
Le cas particulier du registrar (ou bureau d’enregistrement) de noms de domaine
Le Tribunal de Nanterre, le 02 novembre 2000, s’est positionné sur la question de la responsabilité du registrar, a tranché en faveur d’un régime d’irresponsabilité quant à l’enregistrement de noms de domaine et a rejetté, à ce titre, la contrefaçon pour fourniture de moyens. Sur ce second point, la Cour de cassation, par son arrêt Locatour du 13 décembre 2005, a estimé, au visa de l’article L.713 du Code de la propriété intellectuelle, que le registrar ne fait pas un emploi des marques renommées mais procède simplement à l’enregistrement et à la gestion de noms de domaine identiques ou similaires aux signes déposés par elle. Son intention étant uniquement technique, sa responsabilité ne peut être retenue à ce titre.
Sur la question de l’irresponsabilité du registrar, l’ordonnance du 2 novembre 2000 est sans équivoque. Le registrar ne peut être tenu pour responsable dans la mesure où il n’est pas tenu d’effectuer une recherche d’antériorité lors d’une demande d’enregistrement d’un nom de domaine. Ainsi, il « ne peut être imposé aux organismes d’enregistrement qu’une obligation de moyens consistant à la mise en place de précautions raisonnables dans la procédure d’enregistrement ».
Enfin, selon une ordonnance rendue par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre le 13 septembre 2001, le registrar ne pourrait être inquiété dès lors que rien « ne vient démontrer (qu’il) aurait outrepassé les termes de sa mission d’enregistrement de noms de domaine conformément au contrat d’accréditation passé avec l’ICANN ». Ainsi, la responsabilité du registrar ne peut être retenue que dans le cadre du contrat qui le lie à l’ICANN. Si un particulier souhaite soulever cette responsabilité, il devra alors prouver la survenance d’un préjudice direct et certain en lien avec ce manquement contractuel ; ce qui, en toute hypothèse, ne sera pas évident.
En conclusion, lorsqu’il souhaite enregistrer un nom de domaine, le client doit s’assurer qu’il dispose de droits et intérêts légitimes et doit effectuer lui-même ses recherches d’antériorité. Le registrar, quant à lui, ne procèdera qu’à un simple enregistrement du nom de domaine, sans vérifier la légitimité de celui-ci. A ce niveau, le bureau d’enregistrement n’est donc pas assujetti à une quelconque obligation d’information et de conseil.
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Article écrit par Myriam Gribelin
Myriam est juriste au sein du département juridique du Mailclub. Titulaire d’un Master 1 Droit Économique et des Affaires ainsi que d’un Master 2 Droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies, elle maîtrise les problématiques liées aux marques et aux noms de domaine. Elle est joignable par mail à legal@mailclub.fr pour tout renseignement sur les services proposés par son département.
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