Nous nous proposons de décrypter cette décision en commençant par un rappel des faits…
La société Team Reager AB a déposé en 2010 une marque verbale de l’Union européenne (anciennement marque communautaire) « Moobitalk » désignant notamment les services de télécommunications par kits mains libres. En 2011 une personne physique située au Yémen a enregistré un nom de domaine moobitalk.com pour l’exploitation de services de « chat ». En 2013 l’OMPI a ordonné le transfert de ce nom de domaine au profit du titulaire de la marque « Moobitalk » dans le cadre d’une décision arbitrale basée sur les principes UDRP. Le titulaire initial du nom de domaine a ainsi saisi le TGI de Paris afin d’obtenir la restitution du nom de domaine, mais il a été débouté de sa demande. Il a alors interjeté appel de cette décision. Le 8 novembre 2016 la Cour d’appel de Paris infirme la décision du TGI de Paris et ordonne la restitution du nom de domaine au profit de son titulaire originel.
Pas de contrefaçon selon la cour d’appel
Selon la Cour d’appel, il n’y a pas eu de contrefaçon de la marque ‘Moobitalk’ car, même si l’utilisation d’un signe distinctif en tant que nom de domaine peut constituer un acte d’usage dans la vie des affaires, un tel usage ne peut – en vertu du principe de territorialité auquel est soumis le droit des marques – constituer la contrefaçon d’une marque de l’Union européenne, que si le public visé par le site litigieux est situé sur le territoire de l’Union européenne.
En effet, le site www.moobitalk.com renvoyait vers le site www.moobichat.com lequel présentait un service de « chat » à destination uniquement des abonnés d’opérateurs situés dans huit pays du Proche et du Moyen Orient. Le site était disponible en arabe et en anglais et les numéros courts permettant d’accéder au service étaient listés par pays et par opérateur. Les juges ont déduit que le public visé par le site litigieux était celui des huit pays du Proche et du Moyen Orient et non celui de l’Union européenne.
Un public visé différent
La Cour d’appel rappelle également que l’extension générique .com, dépourvu de toute signification géographique, « ne traduit pas la volonté de toucher le public partout dans le monde et en particulier sur le territoire de l’Union européenne ».
Cet arrêt peut être interprété différemment du point de vue du droit des marques et du droit des noms de domaine.
L’interprétation « Marques »…
Du point de vue du droit des marques, cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence précédente portant sur l’application du principe de la territorialité à l’usage des marques sur Internet. Pour rappel, selon la jurisprudence majoritaire, la seule accessibilité du site web est insuffisante pour caractériser l’atteinte au droit des marques et il faut obligatoirement démontrer qu’il y a un lien suffisant entre l’usage de la marque sur Internet et le territoire couvert par l’enregistrement de cette marque.
Dans ce type de litiges le juge va prendre en compte tous les indices pour pouvoir déterminer le public visé par le site web litigieux (notamment la disponibilité des produits ou services dans le pays concerné, l’extension choisie, la monnaie et la langue utilisées, les contacts donnés sur le site, les moteurs de recherche utilisés pour le référencement payant du site etc.).
…opposée à « Noms de Domaine »
Du point de vue du droit des noms de domaine, cet arrêt peut être critiquable car il peut sembler remettre en cause la pertinence de la procédure UDRP et de nombreuses décisions rendues dans le cadre de cette procédure. Les conditions pour obtenir le transfert d’un nom de domaine dans le cadre d’une procédure UDRP étant plus souples que celles de l’action en contrefaçon de la marque d’autres décisions rendues dans le cadre de la procédure UDRP pourraient théoriquement être infirmées par les cours nationales des pays-membres de l’Union européenne sur le fondement du droit des marques. Néanmoins, il faut noter que dans l’affaire en question le titulaire de la marque n’a fondé ses arguments devant les juges que sur la contrefaçon de sa marque et n’a pas tenté de démontrer que l’enregistrement et l’usage du nom de domaine constituaient également un acte de parasitisme. En effet, il existe une jurisprudence qui montre que dans certains cas le titulaire de la marque peut obtenir gain de cause non sur le fondement du droit des marques mais sur le fondement de la concurrence déloyale ou du parasitisme.
Ainsi, sur le plan pratique, cet arrêt montre l’intérêt d’analyser également, en amont d’une éventuelle procédure UDRP, si toutes les conditions qui caractérisent l’atteinte au droit des marques sont remplies (dont notamment le fameux risque de confusion et le public visé par le site web litigieux) dans l’hypothèse où la décision UDRP favorable sera ensuite contestée devant le juge judiciaire. A noter cependant que les décisions UDRP contestées ensuite devant les cours nationales restent minoritaires.